Le directeur du Pôle Espoirs Aix-en-Provence nous a accordé quelques minutes pour répondre a nos questions. Il est notamment revenu sur son parcours, le rôle d’un pole espoir et a notamment évoqué les qualités d’Ugo Bertelli qu’il côtoie en équipe de France U17. Interview réalisée par Karim Sghairi (@SghairiK) pour Peuple Olympien (@peupleolympien).
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
D.M: J’ai commencé à jouer très tôt. Je m’entraînais avec les débutants du club de mon village avant même d’avoir l’âge requis. Originaire du Nord, j’ai rejoint le LOSC à l’âge de 11 ans. J’y suis resté 3 saisons puis ai joué dans les clubs reconnus du Nord dans les catégories de jeunes (Wasquehal, Tourcoing) jusqu’à atteindre un bon niveau régional (R1). J’arrivais régulièrement à participer aux derniers tours de sélections régionales de jeunes, un peu comme le font les joueurs désireux d’intégrer le Pôle, même si, à cette époque, les Pôles n’existaient pas encore.
J’ai été très vite intéressé par l’entraînement. C’est venu de manière précoce et j’ai eu la chance de faire mon stage en entreprise de classe de 3ème au CNF Clairefontaine. Tout en étant au Lycée, j’ai passé des semaines en immersion dans les centres de formation de l’AS Cannes (dirigé à l’époque par Guy Lacombe) et du LOSC.
Mes parents étant enseignants tous les deux, ils m’ont davantage orienté vers les études que vers le foot professionnel. J’ai donc trouvé le bon compromis entre ma passion et mes études en poursuivant ma scolarité à la faculté des sports de Lille (STAPS). Lors de ma dernière année d’études, j’ai intégré la 2ème année de Master à la faculté de Bordeaux pour suivre ma deuxième année de Master avec Georges Cazorla, chercheur renommé dans les sciences du sport et de l’entraînement, et notamment en football. Tout en poursuivant mes études, j’ai continué à effectuer des stages dans les clubs durant les vacances scolaires : Auxerre, Monaco, Rennes et le LOSC à plusieurs reprises.
Par ailleurs, j’ai entraîné des équipes de jeunes (U11, U13, U15) de niveau régional et également l’équipe universitaire avec laquelle nous sommes allés en ½ finale des championnats de France.
A la fin de mes études, titulaire du BE1 (j’ai commencé à passer mes diplômes dès que mon âge me l’a permis), j’ai tout d’abord travaillé dans un club amateur de niveau régional où j’étais à la fois joueur, responsable jeune, entraîneur de plusieurs catégories et préparateur physique.
J’ai eu la chance ensuite de devenir entraîneur adjoint de Romorantin qui, à l’époque, évoluait en National, tout en étant entraîneur des 18 ans et joueur en DH… Les week-ends étaient plutôt chargés ! En fin de saison, j’ai obtenu le BE2 (DES).
Après quelques mois de transition pendant lesquels je travaillais au service des sports d’une mairie, où j’entraînais et jouais dans une équipe de niveau régional, j’ai intégré le centre de formation du FC Gueugnon, à l’époque en Ligue 2. J’y suis resté 3 ans en ayant la direction des équipes U16N, U18N et Réserve en Nationale 3. Alors âgé de 29 ans, je dirigeais des joueurs plus âgés que moi et qui pouvaient compter jusqu’à 300 matchs pro. Lors de cette saison 2007-2008, nous étions venus nous imposer 1-0 au Cesne face à la réserve de l’OM.
J’ai ensuite rejoint le club de Sedan où j’ai coaché pendant 3 saisons les U19 nationaux. Nous nous sommes fait éliminer deux fois consécutivement en demi-finale de la Gambardella : en 2010 face au FC Metz de Bouna Sarr… que nous avons éliminé la saison suivante ; et en 2011 face à l’AS Monaco et cette fameuse génération 92 (Mendy, Kurzawa, Pi, Appiah, Eysseric, Pandor, Ferreira-Carrasco, …).
Après ces 3 saisons à Sedan, j’ai rejoint le FC Sochaux, alors en Ligue 1 pour diriger les U19 Nationaux durant deux saisons puis l’équipe réserve lors de la dernière saison.
Tout au long de la saison, nous avons joué avec une équipe très jeune avec laquelle nous sommes parvenus in extremis à nous sauver en N2… La majorité de ces joueurs a participé à la victoire en Gambardella en 2015. Au cours de cette dernière saison à Sochaux, j’ai obtenu le BEFF, diplôme obligatoire afin de diriger un centre de formation de club professionnel ou un Pôle Espoirs.
« 30% des Champions du Monde 2018 sont passés par un Pôle. »
Denis moutier
Le métier d’éducateur vous a très tôt attiré, pour quelles raisons ?
D.M: Le Foot a toujours été ma passion. Je pense aussi avoir hérité de la passion d’enseigner, mes parents ont certainement su me la communiquer. Par ailleurs, je me suis rapidement aperçu de mes limites en tant que joueur.
Durant votre parcours d’éducateur si vous deviez ressortir trois joueurs qui vous ont marqué, qui seraient-ce ?
D.M: Marcus Thuram (coaché à Sochaux) pour sa personnalité. Il ne ressent aucune pression. Le foot, pour lui, est un jeu quel que soit le niveau. Il paraît que depuis peu, il commence à prendre conscience de certains enjeux… ce qui lui a permis de passer un nouveau palier.
Naïme Sliti (coaché à Sedan) pour sa bonne humeur perpétuelle… Et aussi pour sa faculté à éliminer et à se relever de situations très complexes. Il se remet debout aussi vite qu’il ne tombe… il n’est jamais abattu.
Romain Alessandrini (coaché à Gueugnon) pour sa persévérance et son caractère. Il fait partie de ces joueurs qu’on appelle aujourd’hui « à maturité tardive » et qui explosent littéralement sur le tard.
J’ai eu la chance d’animer beaucoup de séances avec de très bons joueurs (Camel Meriem, Pierre-Alain Frau, Abdoulaye Diaby, Mickaël Le Bihan, Romain Genevois, Aly Cissokho, Ibra Konate, Jérôme Onguené,… et bien d’autres).
« Sur environ 100 000 licenciés par tranche d’âge en France, seuls 100 joueurs deviennent professionnel… 1 sur 1000 !! »
Denis moutier
Vous êtes en place au Pôle Espoirs d’Aix 2015 quels sont les objectifs d’un Pôle ?
D.M: Les Pôles Espoirs ont pour vocation de former l’élite régionale sur les catégories U14 et U15 et de faire bénéficier aux joueurs de conditions d’entraînement de Haut Niveau. Ces structures sont mises en place par la Fédération qui se félicite du travail qui y est accompli. Pour exemple, 30% des champions du Monde 2018 sont passés par un Pôle.
Notre objectif est à la fois de faire en sorte que le jeune se prépare à la vie en centre de formation de club professionnel tout en lui permettant de ne pas le déraciner trop vite de son environnement familial. Ainsi, nos pensionnaires sont au Pôle du lundi au vendredi, mais regagnent leur domicile et leur club chaque week-end et pendant les vacances scolaires. Par ailleurs, pour avoir longtemps évolué en centre de formation, il me paraît intéressant que les joueurs ne passent pas toute leur formation au sein d’une même structure, surtout avec les générations actuelles qui se lassent assez vite.
En tant que directeur, la partie scolaire fait-elle partie des points importants dans un Pôle ?
D.M: Ce n’est pas un point important… c’est le point le plus important. Comme je le disais précédemment, je suis issu du milieu de l’enseignement.
Il est de notre devoir de ne pas envoyer les enfants dans un mur. Sur environ 100 000 licenciés par tranche d’âge en France, seuls 100 joueurs deviennent professionnel… 1 sur 1000 !! Il est donc irresponsable de se dire un tel ou un tel deviendra un grand joueur quand on s’adresse à des joueurs en préformation. Tellement de paramètres entrent en jeu…
« 7000 licenciés dans notre zone d’influence (PACA + Gard + Lozère), environ 1500 sont candidats à l’entrée au Pôle et seuls 18 joueurs sont choisis. »
Denis moutier
Travaillez-vous sur la préparation mentale au sein du pôle ? Si oui, comment se met-elle en place ?
D.M: C’est l’un des domaines que l’on a cherché à améliorer lors de la saison dernière. C’est pourquoi nous avons recruté Luigi RENNA, qui est mon adjoint (titulaire du DES) mais aussi titulaire du CEOP (diplôme axé sur la préparation mentale délivré par la Fédération Française de Football). Chaque joueur effectue un bilan en début de saison avec une psychologue du sport. Ensuite, en cas de besoin, nous décidons d’un suivi individualisé avec la psychologue. Dans le cas contraire, des entretiens individuels sont organisés quasiment chaque soir sur cette thématique ave Luigi RENNA.
Nous avons aussi avancé dans le domaine de la préparation physique en systématisant deux fois par semaine les séances de prévention des blessures. Caroline SCHATTENS, qui est ancienne athlète de haut niveau et diplômée notamment en préparation physique, dirige ce secteur en relation étroite avec le service médical. Elle s’occupe également, dans le domaine sportif, de la réathlétisation des blessés.
Pouvez-vous nous expliquer les méthodes de recrutement pour le Pôle Espoirs d’Aix ?
D.M: Le recrutement est assez complexe car l’objectif n’est pas forcément de recruter les meilleurs du moment, mais plutôt d’évaluer les potentiels. Cela génère beaucoup d’incompréhension. Pour déceler le potentiel, nous organisons des matchs, des tests, des entretiens individuels, des entretiens avec les familles, nous scrutons les bulletins scolaires, … Sur ce point, il est utile de préciser, car de fausses informations circulent parfois, que nous nous épanchons plus sur les aspects comportementaux que sur les résultats scolaires.
Autre rumeur qui s’ébruite souvent… Contrairement à ce qui est dit, le fait de bénéficier d’un Accord de Non Sollicitation (ANS) pour un club professionnel n’ouvre pas en grand les portes du Pôle Espoirs. Pour exemple, la saison dernière, sept joueurs sous ANS n’ont pas été admis au Pôle.
Le recrutement est vraiment un travail très important et très précis sur lequel je passe de nombreuses heures (données relatives aux observations de matchs, analyse des vidéos réalisées lors des journées régionales, analyse des tests, …).
Pour rappel, sur 7000 licenciés dans notre zone d’influence (PACA + Gard + Lozère), environ 1500 sont candidats à l’entrée au Pôle et seuls 18 joueurs sont choisis.
Pouvez-vous nous expliquer le travail qui est effectué entre le Pôle Espoirs et les clubs de la région (dont l’OM) ?
D.M: Nous sommes en relation avec les clubs amateurs et professionnels dans lesquels évoluent nos joueurs. Chaque semaine, nous adressons aux coachs de nos joueurs un compte-rendu complet de la semaine d’entraînement réalisée. Nous suivons également tout ce que le joueur fait lorsqu’il n’est pas au Pôle (matchs, entraînements pendant les vacances scolaires,…) pour adapter au mieux le contenu de nos séances et l’individualiser.
Je suis par ailleurs en permanence en relation avec les clubs professionnels afin qu’ils aient des retours sur les joueurs qui les rejoindront à l’issue des deux ans au Pôle.
Pouvez-vous nous expliquer les différences entre un centre de formation et un Pôle Espoirs ?
D.M: Le joueur intègre le centre de formation en U16. En U14 et en U15, le joueur est en préformation. Le Pôle Espoirs est une structure de préformation de haut niveau mise en place par la Fédération française de football et gérée par la Ligue régionale.
Les Pôles Espoirs travaillent pour les centres de formation en préparant les joueurs à s’y intégrer plus facilement, que ce soit sur le plan psychologique, athlétique ou technico-tactique.
« Ugo est quelqu’un de travailleur, qui a la volonté de progresser… »
Denis moutier
Quels sont les inconveniants et les avantages d’un Pôle Espoirs ?
D.M: Je n’y vois que des avantages, c’est d’ailleurs l’une des raisons principales qui m’a fait quitter mes anciennes fonctions pour rejoindre cette structure.
Lorsque les meilleurs joueurs s’entraînent ensemble, forcément leur progression se fait plus rapidement.
S’ajoutent à cela le fonctionnement qui est optimisé :
- nombre de séances d’entraînement (5 par semaine),
- matchs certains mercredis face à des structures de Haut Niveau (cette saison : OM, OGC Nice, INF Clairefontaine, Pôle Castelmaurou, Pôle Lyon, AS Saint-Etienne)
- infrastructures (pelouses, synthétiques, beach, salles, …),
- outils d’aide à la performance (vidéo, GPS, …),
- staff technique (coach, coach adjoint, entraîneur des gardiens, préparateur physique, analyste vidéo, docteur, kinésithérapeutes, psychologue, préparateur mental, référent socio-éducatif)
- aménagement du temps scolaire (les élèves du Pôle finissent au plus tard à 14h30)
- Études surveillées, soutien scolaire individualisé
Il y a bien évidement encore des axes d’amélioration, mais nous y travaillons.
Le vivier de jeunes dans la region PACA est-il d’un niveau élevé?
D.M: 2ème raison qui m’a attiré à rejoindre ce poste ! La Ligue Méditerranée est la deuxième ligue de France (après la région parisienne) à pourvoir le football de haut-niveau français.
Comment s’est passé votre nomination en tant qu’entraineur adjoint de l’Équipe de France U17 ?
D.M: C’est tout simplement José Alcocer, fraîchement nommé sélectionneur des U16, qui m’a appelé en mai 2018 pour me demander si j’étais intéressé pour devenir son adjoint. Après validation par mes responsables hiérarchiques à la Ligue Méditerranée et à la Fédération Française de Football, j’ai bien évidemment accepté sa proposition. Nous avons accompagné la génération 2003 au cours de cette saison 2019-2020 en U17. C’est un honneur d’avoir été choisi pour mener cette mission auprès de la Sélection.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous procédez pour composer la sélection en U17?
D.M: Nous voyons énormément de joueurs. Plus de 100 sur les 13 rassemblements que j’ai vécus. Nous observons également les rencontres de championnat nationaux soit sur place, soit en vidéo. L’ensemble des cadres techniques de la fédération font aussi un gros travail d’observation dont nous bénéficions. Enfin, le sélectionneur est en relation directe avec l’ensemble des directeurs de centres de formation auprès desquels il prend des informations sur l’évolution des joueurs.
Durant cette saison, vous avez intégré Ugo Bertelli. Pouvez-vous nous parler du joueur des qualité et axe de progression?
D.M: Ses entraîneurs sont bien mieux placés que moi pour le faire car ils le voient au quotidien. Ce qui est sûr, c’est que les stages avec la sélection, au même titre que ce que je disais tout à l’heure au sujet du Pôle, font énormément progresser les joueurs. Quand on confronte les meilleurs entre eux, les joueurs sont obligés de faire évoluer leur jeu pour répondre à de nouvelles problématiques qu’ils ne rencontrent pas en championnat U17 ou U19 par exemple.
Je pense pouvoir dire sans trop me tromper qu’Ugo est quelqu’un de travailleur, qui a la volonté de progresser, qui justement met tout en œuvre pour s’adapter à ces nouvelles problématiques lorsqu’il y est confronté.
Pour vous, la formation française actuelle est-elle adaptée au football moderne ?
D.M: Nous sommes le Pays qui a le plus de joueurs qui évoluent dans les 5 championnats majeurs. On va dire que c’est plutôt un bon indicateur. Cependant, il ne faut surtout pas se reposer sur ces acquis car le football évolue très vite. La DTN est en réflexion permanente et nous abordons sans cesse de nouvelles perspectives afin de faire évoluer nos pratiques au quotidien.
Comment le succès de l’Équipe de France sous Didier Deschamps peut-il influencer la méthode des entraîneurs français en matière de management et de jeu ?
D.M: Il est difficile de transférer le type de management et les choix tactiques d’un groupe à un autre.
Je dirais qu’en tant qu’entraîneur, il faut d’abord avoir des convictions fortes, s’y tenir et toujours avoir un esprit d’ouverture pour pouvoir évoluer et progresser. On apprend à tout âge.
Pour en revenir à Didier Deschamps et son staff, on ne peut être qu’admiratif, car ils ont tiré la quintessence de leur groupe.
Quel est votre avis sur les réseaux sociaux concernant les jeunes joueurs ?
D.M: Je m’en méfie au plus haut point. Les projecteurs sont braqués sur le football, c’est comme ça et il faut s’y faire. Donc dès qu’un joueur fait un dérapage, même minime, il en paye lourdement les conséquences. C’est la raison pour laquelle, que ce soit en Pôle ou en Sélection, nous informons les joueurs des bonnes pratiques… afin de les préserver.