Parfois bouc émissaire facile, souvent idole, en deux passages et huit saisons et demi, Dimitri Payet a tissé une relation intense et unique avec l’OM. Exploits individuels, déconvenues collectives, admiration générale, débats divers sur son poids, ses performances, ses bisbilles aves ses coachs… Il a tout connu. Par sa longueur et surtout son caractère unique, cette relation lui donne une place particulière dans l’histoire du club olympien, ainsi que dans le cœur du peuple. Au point d’en faire une légende ?
Des critiques légitimes
Débarqué de Lille à l’été 2013, il est la figure de proue d’un mercato axé sur la Ligue 1 et surtout la jeunesse. Un recrutement censé bâtir l’OM du futur : Thauvin, Imbula, Mendy, Lemina…
Le Réunionnais de 26 ans est lui déjà un joueur de référence, un international français sortant d’une seconde saison brillante dans le Nord. Il n’eut logiquement jamais le statut d’espoir, de jeune à potentiel. Dès le premier jour, il fit face à une attente et une exigence à la hauteur de son statut de joueur de grande qualité, à la hauteur de son talent, de son salaire aussi.
Ses premières performances donnèrent encore plus d’épaisseur à l’espoir populaire qu’il incarna. Mais passée l’adrénaline des premiers jours, le plus difficile se présenta devant lui. Malgré un stade Vélodrome toujours en travaux, le néo-Olympien put se rendre compte que la fameuse grande pression populaire à l’OM n’a rien d’un mythe. Sa première saison est loin d’être honteuse, mais une certaine inconstance et des performances décevantes en C1 génèrent un agacement non dissimulé, bien qu’encore relativement contenu.
L’inconstance, un certain effacement devant le gratin européen, voilà deux reproches qui jalonneront sa carrière olympienne. Il ne serait pas juste de considérer ces critiques comme totalement infondées. Deux buts et une passe décisive en 13 matchs de C1 ne sont pas des chiffres dignes d’un joueur aux si grandes responsabilités dans les 25 derniers mètres.
Au-delà du bilan purement statistique, il est indéniable que le génie de Dimitri Payet fut trop rarement à l’œuvre dans la plus grande des compétitions du club. Sur le plan national, les motifs d’insatisfaction sont plus rares, bien qu’ils existent : il fut loin d’être irréprochable lors des saisons 2018/2019 et 2020/2021.
Ceci dit, les critiques ont parfois été trop sévères, manquant de nuance, et prenant trop peu en compte la dimension collective. Bien que critiquable, il est difficile de reprocher à Payet (et à Florian Thauvin) de ne pas avoir encore plus porter sur ses épaules des équipes aux entraîneurs très peu inspirés, durant leur dernière saison (Garcia, Villas-Boas…), et aux effectifs lacunaires (on peut penser au poste de 9 sous Garcia : Mitroglou, Germain, Njie…). Dans les moments les plus difficiles, le duo Payet–Thauvin représenta quasiment toute la créativité de l’OM (buts, passes décisives, passes menant à un tir…).
Mais un autre reproche, bien plus légitime, lui a longtemps été fait : un manque de professionnalisme et de sens du leadership. Son poids régulièrement trop important fit régulièrement l’objet de railleries en tout genre. Bien que les moqueries n’ont pas valeur d’argument, la critique de fond est légitime. La forme physique est un élément non négociable.
Ses querelles récurrentes avec ses entraîneurs (Bielsa, Garcia, Villas-Boas), et parfois même coéquipier (Thauvin), dénotent un manque d’exemplarité et de leadership. Elles ont probablement été exagérées par sensationnalisme, mais leadership et clashs récurrents sont difficilement compatibles.
Au moment de prendre de la hauteur, de contempler les années Payet et de s’interroger sur sa place dans la riche histoire du club, un argument majeur et factuel est avancé : le manque de trophée. S’il s’agit là d’un élément forcément associé à la dimension collective du football, l’absence de trophée apportée au club est un argument de poids en sa défaveur. Cependant, être ou non une légende d’un club résulte avant tout d’un sentiment, d’émotions et de souvenirs. Malgré l’absence de titre, Fabrizio Ravanelli et Didier Drogba peuvent légitimement être considérées légendes de l’OM par certains.
Des grandes saisons dans un contexte rarement serein
L’Olympique de Marseille est un club on ne peut plus passionné, passionnant et irrationnel. C’est là son charme, son ADN, ce qui le rend si attractif. Cette magnifique singularité ne semble cependant pouvoir se détacher d’une conséquence dont tout supporter se passerait bien : une instabilité chronique. C’est là le revers de la médaille, et la période 2013-2023 ne fit fait exception.
Dimitri Payet a connu à l’OM deux propriétaires, quatre présidents, cinq directeurs sportifs, huit entraîneurs… Certes, la compétence est plus importante que la stabilité, mais la seconde est généralement une conséquence de la première. Sur ces 10 ans, l’OM a rarement bien travaillé.
S’il ne faut pas tout voir en noir, on peut difficilement lui faire porter la responsabilité des limites d’Élie Baup, José Anigo, Rudi Garcia, Andoni Zubizarretta, André Villas-Boas, ou de son incompatibilité stylistique avec Igor Tudor. Entre le départ de Bafé Gomis à l’été 2018 et l’arrivée d’Arkadiusz Milik à l’hiver 2020, il n’eut devant lui aucun numéro 9 de grand niveau, capable de marquer une vingtaine de buts en une saison. Les limites de Njie, Mitroglou, Germain et Benedetto ne sont pas les siennes.
Ses performances, dans un contexte si instable, ont globalement été bonnes, très bonnes, parfois grandioses. Sa saison sous les ordres du génial Marcelo Bielsa est inoubliable. L’homme le plus compétant passé par le club durant les années Payet lui a fait passer un cap. Bielsa le replace en numéro 10, et ceci dans une équipe très offensive et verticale, lui offrant en permanence des solutions dans la profondeur. Résultat : il éclaire l’OM et la Ligue 1 de ses lumières. 7 buts, 16 passes décisives (meilleur total de L1), et une impression de facilité et de vision unique. Payet dirigé par un chef d’orchestre d’élite est un plaisir qu’on aura connu qu’une saison… On en gardera toujours un souvenir ému.
Il démontra ensuite que sa saison bielsienne n’était pas une fulgurance, mais l’épanouissement d’un joueur et de son immense potentiel. Il confirma dans la ligue la plus suivie au monde : la Premier League.
12 buts et 15 décisives en 38 matchs outre-Manche, en 2015-2016, joueur londonien de l’année, membre de l’équipe type de l’année. Et à la fin de l’année civile, une 17ème place au classement du Ballon d’Or. Cette reconnaissance est à la hauteur de l’empreinte laissée par le Réunionnais en Premier League, et encore plus dans le cœur des supporters des Hammers.
La parenthèse londonienne n’aura duré que 18 mois, à l’hiver 2017, le voici de retour à Marseille.
Il retrouve un club chamboulé par rapport à celui qu’il avait quitté. Nouveau propriétaire, nouveau président, nouveau directeur sportif, nouvel entraîneur, plus de Gignac, Ayew, Nkoulou, Mendy, Imbula… Il contribua à une fin de saison réussie, permettant au club d’être en Europe la saison suivante, durant laquelle il fera bien plus que contribuer.
La saison 2017-2018 s’est conclue par une double frustration, mais fut synonyme de grandes émotions. Si le duo Payet/Thauvin a parfois été décrié (souvent de manière injuste), il fut cette saison là à un niveau fantastique : 10 buts et 22 passes décisives pour le premier, 26 et 18 pour le second.
Avec leur leadership dans la créativité, et l’apport d’autres joueurs importants et performants (Luiz Gustavo, Maxime Lopez, Lucas Ocampos…), les Olympiens effectuèrent un parcours européen magique, menant le club à la 5ème finale européenne de son histoire. Ces matchs et moments inoubliables représentent sans aucun doute les plus beaux souvenirs de tout supporter étant trop jeune en 2010.
Lors des tours à élimination directe, Payet fut décisif une fois contre Braga, trois contre l’Athletic Bilbao, deux facz à Leipzig et autant contre Salzbourg. Son match retour majestueux contre Leipzig est une des plus grandes performances européennes réalisée par un joueur de l’OM.
La saison de Ligue 1 s’acheva à la 4ème place, mais à 2 points du podium, avec 77 points pris et 80 buts marqués (pour évaluer cette performance : la saison Tudor s’est conclue à 73 points et 67 buts).
On peut légitimement se dire que la fin de saison aurait été plus belle si cette équipe disposait d’un numéro 9 digne du duo Payet–Thauvin.
Sa saison 2019/2020 fut également très bonne. Bien que décalé sur la gauche dans le 4-3-3 de Villas-Boas, il a été un grand leader, une garantie de créativité et d’actions décisives : 17 en 27 matchs, 12 buts et 5 passes décisives. On aurait aimé ceci dit le voir dans l’axe, proche de Dario Benedetto.
La seconde saison de l’OM version Villas-Boas fut médiocre, les choix du technicien portugais ont souvent été lunaires, et la crise latente depuis des mois explosa à l’hiver 2021. Payet et Thauvin auront servi cette saison-là de boucs émissaires faciles dans un effectif mal construit et d’une équipe mal dirigée.
Le duo de créateurs était critiquable, mais leurs performances globales restèrent de qualité. Ils n’étaient pas des problèmes, ils étaient encore une fois des solutions (les seules). 7 buts-9 passes décisives en L1 pour le Payet, 8-8 pour Thauvin, en étant l’un comme l’autre décisif face aux meilleures équipes.
Ils ont une part de responsabilité dans l’échec en LDC, mais bien inférieure à celle de l’entraîneur.
En février, un nouvel entraîneur posa ses valises en Provence : Jorge Sampaoli. Il replaça Payet dans l’axe, et malgré toutes les critiques qu’on puisse faire à l’Argentin, son arrivée fit du bien au numéro 10.
D’abord en l’associant à Milik proche du but, puis en lui donnant une liberté totale la saison suivante, il lui permit d’être à nouveau en pleine confiance et au cœur de l’animation offensive. Le Réunionnais réalisa une grande saison, avec, sur le plan statistique, un bilan de 19 buts et 10 passes décisives. Il devint aussi le capitaine de l’équipe, son leadership prit encore de l’épaisseur.
Un joueur spécial pour un club spécial
La carrière marseillaise de l’international français n’a rien de linéaire. La relation entre les amoureux du club olympien et le milieu offensif ne fut pas sans tumultes. L’adoration se transformait par moment en ressentiment (on peut penser à la saison 2020/2021). Malgré cela, les beaux moments sont si nombreux et si beaux qu’ils rendent les difficiles quasiment dérisoires.
Dans l’ensemble, il fut aimé, et est aimé aujourd’hui, adoré même. Toute annonce de son nom au Vélodrome s’accompagnait des clameurs d’un peuple en permanence à l’affût d’un énième geste génial, les enivrant une fois de plus. En ce mois de juillet 2023, il est l’idole qui dit en larmes un au revoir provisoire à sa maison, à sa seconde famille.
Dimitri Payet est un joueur spécial, il est naturel que son mariage avec un club spécial fasse des étincelles.
Comme l’OM, Payet est d’une imperfection attachante. Comme l’OM, Payet peut autant nous faire rêver, nous rendre fier, que nous frustrer, nous énerver. Comme l’OM, Payet est tel un membre de la famille, on peut s’engueuler sans que cela change d’un iota notre affection réciproque.
Il a grandi à l’OM au point de devenir un leader. Son attitude exemplaire sous Igor Tudor lors d’une saison, durant laquelle il a dû composer avec des décisions parfois injustes, en est une éclatante démonstration.
Il est un artiste, un esthète, un joueur spécial par son talent. Son touché de balle est soyeux, sa vision du jeu digne des plus grands meneurs de jeu, et sa qualité de pied frôle la perfection. Dimitri Payet poétise le football, le rend facile, naturel, évident.
En une touche de balle il procure plus d’émotions que la plupart des autres joueurs en dix. Il capture les regards comme peu en sont capables. Dans un football dans lequel les purs numéros 10 semblent en voie d’extinction, sa dimension anachronique renforce sa singularité.
Au fond, qu’importe que les supporters et observateurs lui attribuent ou non le titre officieux de légende. On se souviendra tous de son extérieur de pied incroyable contre Leipzig, de son récital face au Lyon du honni Rudi Garcia, de sa reprise venue d’un autre monde contre le PAOK…
Il incarnera un jour la nostalgie de toute une génération. Ces grandes et nombreuses émotions ont existé et ne cesseront d’exister dans nos mémoires. C’est bien là le plus important.