8 août 2015. A la surprise générale, Marseille démarre sa saison sur une fausse note. Le SM Caen vient infliger à l’OM sa première défaite de la saison sur ses terres. Et en prime, pour l’ouverture du championnat. De quoi s’inquiéter, diront certains, ou pas du tout, pour d’autres qui font entièrement confiance à leur coach, Marcelo Bielsa.
Oui mais voilà, le surnom d’El Loco lui va comme un gant. Et il va le prouver une nouvelle fois ce soir-là. Mécontent de la performance de son équipe, ou plutôt, du résultat puisque, comme à son habitude, il n’accable pas ses joueurs, il semble également très remonté contre une autre personne, son président Vincent Labrune.
Après avoir répondu aux questions des journalistes portant sur le match, il se lâche. Il explique finalement qu’il a entamé une réflexion depuis peu afin de savoir s’il restait ou non. Sa froideur habituelle apparaît davantage et elle finit par déstabiliser son traducteur. Fraîchement enrôlé pour assister le coach lors de ses prises de parole, Nicolas Faure perd pied. Après une énième tentative de correction de la part de Bielsa, il traduit de façon erronée un propos. L’entraîneur Olympien craque et, sous les yeux ébahis des présents, quitte la salle de presse, agacé. Stupeur.
Les journalistes semblent assommés et à l’extérieur de l’enceinte du Boulevard Michelet, l’évènement prend de l’ampleur et rapidement. La rumeur court. Le tacticien argentin serait en passe de démissionner. Tous stoppent leurs analyses d’après match entre amis, la nouvelle est bien plus importante. Cette notification reçue sur les smartphones des personnes abonnées au quotidien qui a titré cette information fait parler aussi rapidement qu’elle ne calme. En effet, lorsque l’on ouvre l’article, on y apprend les détails de la soirée. On découvre alors qu’il a annoncé réfléchir à partir, mais que sa réflexion était pour le moment loin d’être achevée. Rien d’officiel donc, les supporters marseillais peuvent souffler. Souffler oui, mais être pleinement rassurés, non. Sa réaction agacée l’ayant amené à quitter de manière précipitée la conférence ne laisse pas non plus présager que du bon. Marseille retient son souffle.
Un collectif de supporters, déjà en place et sentant probablement venir le coup car très actif bien avant cet évènement, se mobilise en puissance. « BielsaNoSeVa » et ses membres lancent un tas d’actions. Ils veulent montrer leur soutien à leur idole et, en opposition, leur désapprobation à leur président. Finalement, quelques jours plus tard, les deux hommes se présentent ensemble. Lors d’une conférence exceptionnelle, ils annoncent avoir trouvé un terrain d’entente et mis de côté tout désaccord. Marseille peut respirer.
El Loco : saison 2.
Fin août. Bielsa exige de ses joueurs une préparation physique intense comme à son habitude. Mais, alors qu’il venait de signer son contrat depuis moins d’un mois, Abou Diaby se blesse. Le technicien se montre quelque peu agacé par la situation, lui qui n’avait pas réellement donné son aval pour la venue de l’ex international français. Cet épisode compliqué pour Diaby va malheureusement impacter un autre joueur.
Malheureusement, ou heureusement finalement. Doria, qui était victime d’un conflit entre Labrune et Bielsa depuis la saison précédente, va devoir plier bagages. L’Argentin, exaspéré d’avoir intégré à son effectif un joueur qu’il ne désirait pas pour la seconde fois et doublement remonté à cause de sa blessure, va exiger de son président qu’il trouve une porte de sortie au défenseur brésilien, sur qui il ne comptait de toute façon toujours pas. La victime collatérale, tout juste revenue de ses six mois de prêt à Sao Paulo bien décidée à faire changer d’avis son entraîneur, retourne finalement au Brésil, cette fois dans le club de Corinthians.
Et Bielsa, aussi fou qu’à son habitude, va même aller plus loin. Il va demander à sa hiérarchie de remplacer la perte d’un défenseur par l’achat d’un nouveau, et pas n’importe lequel. Après avoir posé un ultimatum à l’état major marseillais qui a finalement cédé, Kalidou Koulibaly pose ses valises dans la cité phocéenne le 31 août 2015, un an seulement après son arrivée au Napoli. Acheté 8 millions d’euros 15 mois plus tôt, l’OM a du débourser le triple pour s’attacher les services du néo-international sénégalais, tout juste convoqué avec les Lions de la Teranga. Côté transferts, après les départs de cadres tels que Gignac, Ayew, Payet, Imbula, Lemina et Morel, on assiste en plus à celui de Florian Thauvin. Concernant les arrivées, l’OM accueille fin août (et après ses différentes recrues de juillet) Rémy Cabella, Rolando, Lucas Silva, Mauricio Isla et Paolo De Ceglie.
Nouvelle saison ne rime pas toujours avec changement et il le prouve. Malgré les demandes incessantes sur le sujet auxquelles il ne prête pas attention, l’Argentin ne regarde toujours pas les journalistes dans les yeux. Certains s’en agacent un peu plus à chaque conférence, d’autres, au contraire, semblent y avoir renoncé et l’acceptent comme tel.
Ces conférences, justement, parlons-en. Tout le monde continue à parler de ses confOM si pointilleuses et intéressantes, ces conférences qu’on s’était tous mis à regarder depuis sa prise de fonction, ces mêmes conférences qui étaient d’un ennui mortel avant son arrivée et qui sont devenues vitales pour les amoureux de foot. Du coup, entre ceux qui continuent à l’accabler pour le fait qu’il ne parle pas français ou ne regarde pas dans les yeux et ceux qui vantent ses odes au football, il n’y a qu’une chose à retenir : que ce soit en bien ou en mal, on ne parle que de lui.
Et ça, ça a le don d’en énerver plus d’un, Jean-Michel Aulas en première ligne. Le président lyonnais regrette publiquement qu’on ne parle que de Bielsa. Hors de lui, il s’emporte en direct au CFC, après une question sur ce qu’il pense de l’ancien entraineur du Chili. « Je commence à en avoir assez qu’on ne parle que de lui! Vous, les journalistes, vous n’avez que son nom à la bouche. Je m’en fiche qu’il ne parle pas français, il peut même parler chinois si ça le chante, mais lâchez moi avec lui! Hubert Fournier fait du bon travail également mais étrangement vous n’en parlez pas! ». Ce même Hubert Fournier qui sera remplacé par Bruno Génésio en décembre 2015, probablement en récompense de son fabuleux travail. Ah décidément, Jean-Mimi ne nous déçoit jamais.
Un Olympico très chaud
L’évènement de cette première moitié de saison a lieu le dimanche 20 septembre 2015. L’OM reçoit son rival lyonnais pour le compte de la 6ème journée. Les joueurs de Marcelo Bielsa sont attendus au tournant, après une entame de championnat assez laborieuse. Mais ils ne sont pas les seuls à être attendus. L’ancien Marseillais Mathieu Valbuena retrouve le Vélodrome en tant qu’adversaire et son accueil promet d’être bouillant. Promesse tenue.
Sur le terrain, il met en grandes difficultés les Marseillais. Ces derniers, pas franchement ravis de se faire malmener par Petit vélo, lui rendent la pareille, mais d’une toute autre façon. Peu de temps avant la mi-temps, Alessandrini tacle l’ancien olympien et est exclu. Dans les tribunes, le spectacle est présent. De plus, les supporters comptent bien faire entendre à Valbuena leur colère de le voir porter cette tunique lyonnaise. Ce dernier est, tout au long du match, cible de projectiles et l’arbitre est contraint d’arrêter le match.
L’attente est longue, les protagonistes sont rentrés au vestiaire, sauf un. Marcelo Bielsa refuse et reste assis sur sa glacière, tournant sa tête de droite à gauche pour admirer le « Aux Armes » mémorable entonné par les virages et suivi par les tribunes latérales. Il se lève à la fin de celui-ci puis applaudit tout le stade. Conquis, les groupes de supporters lancent alors un chant en l’honneur de leur coach. Sur les écrans du Vélodrome, on voit un homme ému, limite gêné, qui remercie pudiquement le public. Il associe à ses remerciements des gestes que l’on peut interpréter comme une incitation à stopper les jets d’objets et la haine visée envers l’ex-Marseillais pour, plutôt, profiter de la fête et encourager l’équipe.
On ne saura jamais si c’est vraiment le message qu’il a tenté de faire passer, mais c’est celui qui a été compris et qui a peut-être permis de changer l’issue de ce match. En effet, les Marseillais, poussés par un stade en ébullition, reviennent avec des intentions tout autres. Après avoir buté sur Lopes a deux reprises en quelques minutes, Michy Batshuayi, sur un centre de son coéquipier et ami Benjamin Mendy, place une implacable tête décroisée. Le Vélodrome explose. Le technicien marseillais, quant à lui, reste de marbre.
En quelques minutes, le coeur des Marseillais va faire un 360. A la 80ème minute, Alexandre Lacazette douche un public en trans’. Deux minutes après, Michy, encore lui, sur un nouveau service de Mendy, vient mettre un plat du pied qui finira sa course au fond des filets après avoir heurté le montant droit de Lopes. Cette fois, Marcelo Bielsa exulte, et rend hommage à son attaquant en mettant lui aussi un plat du pied… dans son café. Il saute, prend ses adjoints dans ses bras puis rapidement, alors que le Vélodrome s’embrase, demande à ses joueurs de rester concentrés et retrouve sa glacière fétiche.
L’OM joue toujours à dix et il reste moins de 8 minutes dans le temps réglementaire. Le stade pousse, les 60 000 supporters présents ne tiennent plus en place. Le stade retient son souffle plusieurs fois mais Diarra, à de nombreuses reprises, et la paire Koulibaly-Nkoulou en avant-dernier rempart, refroidissent les ardeurs lyonnaises.
L’annonce des 5minutes de temps additionnel n’a même pas raison de la folle ambiance qui règne. Les supporters, à l’unisson, chantent sans relâche et le coup de sifflet final vient les récompenser. A la fin du match, l’entraîneur marseillais refuse d’accabler Alessandrini pour son mauvais geste. Mais on apprendra par la suite que ses mots avaient été beaucoup plus durs dans le vestiaire envers le numéro 11. Vexé, l’ancien Rennais fit plusieurs déclarations dans la presse contre son entraineur. Quelques jours plus tard, il l’envoie en réserve pour une durée indéterminée. Une décision qui laisse les experts bouche bée. Il le réintégrera finalement un mois plus tard, après des excuses publiques du Marseillais de naissance.
Côté terrain
La première partie de saison divise. Après des débuts assez timides, la machine se met en route. Timides sur le plan comptable uniquement, parce que les résultats ne sont pas à la hauteur des performances. Les Phocéens pratiquent un football léché, mais leur constante débauche d’énergie leur coûte souvent cher, et ils perdent des points en chemin. Exception faite du match présenté précédemment. Marcelo ne se montre pas inquiet pour autant et le temps lui donnera raison puisque, au fil des matchs, ses joueurs se verront récompensés de leurs efforts. Probablement grâce à une préparation physique qui commencera à porter ses fruits plus qu’à peser. Après une belle remontée au classement, l’équipe finit l’année 2015 à la 5ème place. Pas rassurante pour les uns, plus qu’encourageante pour les autres.
La deuxième partie de saison convainc. Dans la lignée de la fin de première partie, les résultats récompensant des prestations abouties et plus qu’intéressantes s’enchainent. Le Vélodrome joue son rôle de 12ème homme à chaque fois et ça semble payer. Pour le plus grand bonheur des Marseillais du monde entier, l’OM parvient même à remporter son premier Clasico depuis bien longtemps. Les hommes de MB, portés par un volcan en fusion ont su appliquer à la lettre les consignes données, et chacun s’est mis au service du collectif pour un match plein qui sera désigné par la suite comme match de l’année.
Au-delà des frontières
Le tirage des poules d’Europa League semble favorable, mais, on le sait, ce qui paraît simple devient parfois (souvent) difficile à l’Olympique de Marseille. La campagne européenne des bleus et blancs débute donc de façon poussive, l’équipe passe les phases de poules dans la difficulté face à des clubs pourtant bien inférieurs, sur le papier. En 2ème partie de saison, le retour de Thauvin donne envie d’y croire. Il est en grande forme et permet au club de reprendre espoir. L’OM affronte Bilbao en 16èmes et passe ce tour sans encombre, brillamment même. Thauvin justement, inscrit un doublé au match aller et Steve Mandanda permet de conserver un précieux match nul au retour, dans le mythique San Mamés.
L’espoir est de courte durée. L’OM reçoit Valence en 8èmes de finale et remporte la première manche sur la plus petite des marges à domicile. Les coéquipiers de Mauricío Isla se mettent à rêver d’un quart, avant d’être douchés à la 92ème minute. Les joueurs de Gary Neville enfoncent le clou pour marquer un second but, alors qu’on voyait les prolongations nous ouvrir les bras.
Individualités
Côté points positifs, un nom est à mettre en avant. Celui de Lucas Ocampos. Véritable révélation cette saison, les médias parlent avec insistance d’une possible sélection avec l’Argentine, et pourquoi pas sous les ordres d’un certain Marcelo Bielsa, celui-là même qui l’a métamorphosé.
Ensuite, et finalement sans grande surprise: Mendy. Pour sa deuxième année sous les ordres du coach argentin, il impressionne. En début de saison, Bielsa, qui semblait avoir pris l’ex-Havrais sous son aile, s’était exprimé à son sujet. Pour lui, il deviendrait le meilleur ARG du monde. Cette sortie lui avait valu bon nombre de railleries, notamment par le très médiatique Pierre Ménès dans le CFC. A chaque entraînement, le numéro 23 enchaine des dizaines de centres sous le regard avisé du technicien argentin. Et cela paye en match, une connexion se crée avec Michy, et Mendy devient le meilleur passeur du championnat, ses centres trouvant régulièrement la tête ou les pieds du belge. Le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, surveille de très près ses prestations. Le voyant progresser de match en match, il décide de faire de lui son titulaire en équipe de France au poste qui est le sien.
Si on veut une surprise, en voilà une. Zambo devient un cadre de l’équipe. Ses détracteurs sont scotchés et ses quelques supporters des premières heures se félicitent d’avoir décelé son potentiel avant tout le monde. Une belle complémentarité naît entre lui et les autres recrues, Lass et Lucas Silva. Mais cette complémentarité va être sur le déclin à partir de février lorsque Lass’ refuse de se soumettre à la charge de travail demandée par le coach et son staff.
En revanche, Max Lopez peine à s’imposer. On sent de son côté un manque de confiance même lorsqu’on le met dans les meilleures dispositions possibles. Il semble affecté mais le staff est à court d’idées pour l’aider à se relever. Il finit la saison sur le banc, tristement. Enfin, malgré toute la bonne volonté du monde, la bande à Marcelo Bielsa ne réussit pas à transformer De Ceglie en footballeur digne de ce nom. Les miracles existent, mais là, la marche était trop haute…
Au cours de la saison, les spéculations autour de l’avenir d’El Loco vont bon train… Des rumeurs l’envoient vers de grands clubs. Lui martèle sans cesse qu’il ne veut pas évoquer son avenir. Il dit qu’il a une mission à accomplir à Marseille et que c’est, à l’heure actuelle, le seul projet qui l’intéresse.
Mission accomplie
Nous sommes en avril 2016 et l’OM, ayant engrangé les 3 points match après match, se voit assuré de terminer deuxième. Quasiment un mois avant la fin du championnat. Le podium étant l’objectif annoncé depuis le début de saison, l’enfant de Rosario s’exprime. « L’objectif était clair depuis le début, et nous ne nous en sommes jamais cachés. Maintenant qu’il est acquis et que l’OM a retrouvé la place qui est la sienne, l’Europe, je peux dire qu’on a réussi la mission et qu’une autre m’attend probablement ailleurs. »
Son traducteur se fera reprendre de volée, cette fois avec le sourire et en français. « Non, pas moi, NOUS avons réussi » après avoir traduit, à tort « j’ai réussi ma mission ». MB enchaînera en espagnol « cette erreur te coûte moins cher que la dernière fois on dirait » sur un ton plus détendu que jamais et suivi d’un rire aux éclats et d’une accolade avec son bras droit dans la communication. L’assemblée, conquise et détendue elle aussi, se lèvera. Elle applaudira ce dernier échange public entre les hommes, et la dernière apparition du futur ex-entraîneur olympien.
Après cette deuxième place acquise relativement tôt ou, du moins, pas sur le fil, il annoncera discuter avec plusieurs clubs. Il quitte l’OM au terme de son contrat et signera, contre toute attente, avec la sélection argentine. MB reconnaît que pour lui, c’est une opportunité qu’il ne peut refuser. Il se justifie en disant qu’il a, depuis 2002 et malgré deux résultats positifs majeurs qui ont suivi, une revanche à prendre, et que cette seconde chance est inouïe. Dès juin 2016, il rejoint l’Albiceleste, où il est attendu comme le nouveau et second messie…