Leyti N’Diaye a porté le maillot de l’OM entre 2004 et 2013 sans avoir eu l’occasion de disputer plus de 20 matchs. La faute à des blessures à répétition et beaucoup de malchance. Son courage ainsi que son abnégation lui ont permis de jouer un match de ligue des Champions face à Chelsea et de connaitre des coachs prestigieux comme Didier Deschamps ou Eric Gerets. Récit de la carrière olympienne d’un lion sage.
Comment vas-tu ? Que deviens-tu depuis la fin de ton aventure et de ta carrière avec FC le Mont ?
Tout va bien. Je suis actuellement au Sénégal avec ma maman. Le FC Mont était un projet pour relancer ma carrière après les blessures que j’ai eues. C’était un contrat d’un an, qui n’avait pas une grande valeur salariale mais qui devait me permettre de relancer ma carrière professionnelle. Malheureusement, ça ne s’est pas bien passé parce que j’ai de nouveau eu des pépins physiques et que j’ai pris la difficile décision de mettre fin à ma carrière.
Quel style de joueur étais-tu ?
J’étais un joueur dur et porté sur l’intensité physique. À Marseille, j’ai souvent été utilisé comme défenseur. Mais mon poste de formation c’est milieu défensif. C’est à ce poste que je me sentais le plus à l’aise. Lorsque Christophe Bouchet (Président de l’OM de 2002 à 2004) et l’OM sont venus me chercher à Louhans-Cuiseaux en 2004 c’était pour remplacer Mathieu Flamini, parti quelques semaines plus tôt à Arsenal. Le projet était le suivant : je continue ma progression et j’aide l’équipe dans le rôle de milieu de terrain défensif.
Si je te dis 12 septembre 2004, à quoi penses-tu ?
FC Sochaux Montbéliard-OM. Ma première titularisation sous les couleurs du club. Un grand souvenir.
Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un jeune de 19 ans au moment de vivre sa première titularisation sous les couleurs de l’OM alors qu’il jouait encore à Louhans-Cuiseaux quelques semaines plus tôt ?
Je dois avouer que j’ai ressenti une certaine pression ce jour-là car Marseille est un grand club. Ma seule priorité a alors été de bien faire les choses. Malheureusement, ça a été très compliqué car on est tombé sur une grosse équipe de Sochaux qui nous a battus 2-0. À la fin du match, en tant que défenseur, j’étais déçu et je me disais que j’avais peut-être laissé passer une chance.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ce jour-là au stade Bonnal ?
C’était un vrai match de Ligue 1, donc très intense. J’avais fait des matches de préparation durant l’été contre Benfica par exemple mais la compétition c’est différent. La chance que j’ai eue, c’est d’avoir des grands frères comme Abdoulaye Meïté ou Frédéric Déhu qui parlaient beaucoup avec moi.
Ce match face à Sochaux c’était aussi la première de Samir Nasri. Il était déjà si fort à 17 ans ?
Samir, c’était un phénomène ! Avec lui il y avait aussi Ahmed Yahiaoui qui était très fort. Samir était déjà très mature dans sa tête et dans son jeu, il était donc déjà parti pour faire la carrière qu’il a réalisée.
Tu arrives à l’été 2004 avec le statut de jeune prometteur. Dans le même temps, Drogba part à Chelsea et l’OM effectue un gros recrutement avec Eduardo Costa, Bruno Cheyrou, Pedretti, Lizarrazu, Dehu. Racontes-nous tes premières semaines dans le vestiaire.
Ça s’est très bien passé. J’ai été bien accueilli et je me suis vite lié d’amitié avec Léo Matos (un jeune brésilien qui n’a jamais disputé de rencontre avec l’OM). Il avait le même âge que moi, on était arrivé au club au même moment, on partageait le même hôtel donc on passait beaucoup de temps ensemble. Les « grands », comme Frédéric Déhu, Fabien Barthez et Eduardo Costa, prenaient le temps de discuter avec nous et ça nous aidait beaucoup.
Contre Toulouse, quelques jours plus tard, tu découvres le Stade Vélodrome en jouant l’intégralité de la deuxième période. Tu as reçu des conseils ?
Johnny Ecker se blesse et José Anigo, le coach de l’époque, décide de me faire rentrer. Dans le tunnel qui mène à la pelouse, Fabien Barthez avait pris le temps de me parler et de me rassurer. Son conseil était de faire «comme à l’entraînement». Je m’en rappelle car il me l’a répété plusieurs fois… À ce moment-là, Fabien me dit aussi d’être bien concentré. À la fin du match j’étais très heureux car l’équipe gagne 1-0 et je récupère beaucoup de ballons.
Qu’as-tu pensé de l’ambiance du stade ?
L’ambiance et l’atmosphère correspondaient à ce dont j’avais toujours rêvé ! Le Vélodrome, c’est la folie. Lorsque tu découvres ça, tu ne peux jamais l’oublier car les supporteurs sont très proches, tu les entends te parler. Puis il y a les virages qui se répondent, les chants, les fumigènes…
À 19 ans seulement, tu enchaines deux matches dès le début de la saison. Puis intervient ta première blessure au genou. Raconte-nous ce qui s’est passé.
C’était vraiment dur. J’étais en larmes car sur le coup, je sais qu’il m’est arrivé quelque chose de grave. L’action je la revois : je suis à l’entrainement le lendemain d’une rencontre face à l’AS Monaco. Je me retrouve au duel avec Samir Nasri, je souhaite mettre beaucoup d’intensité et pour reprendre mon appui, je pose malheureusement le pied dans un trou car la pelouse de la Commanderie est dégradée. Tout l’intérieur du genou va être déchiré. À la suite de ça, les jardiniers ont pris une grosse soufflante de la part du staff technique…
Cette blessure va t’empêcher de jouer tout le reste de la saison. Comment as-tu vécu cette période ?
J’étais dans un trou noir. Lorsque j’arrive quelques semaines plus tôt, je suis le jeune sur qui l’OM a misé et du jour au lendemain je me retrouve hors du groupe, hors des terrains. Mes soins je ne les faisais même pas à la Commanderie mais à l’hôpital de la Timone. Ensuite, ma rééducation a pris énormément de temps car tout l’intérieur du genou était arraché. J’ai mis 8 mois à revenir, c’est une éternité.
Cette saison 2004-2005 va être difficile avec l’arrivée de Philippe Troussier, suite à la démission de José Anigo à l’automne, puis l’OM va finir 5ème. Sur le papier, l’équipe semblait suffisamment armée pour terminer sur le podium. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?
Je n’avais pas une grande expérience à l’époque mais j’avais conscience qu’à Marseille ce n’était pas de la rigolade. Il y avait une telle pression que même Bixente Lizarazu, champion du monde 1998, avait décidé de partir ! Comme tu le dis, il y avait eu un gros mercato avec Eduardo Costa, Benoit Pedretti, Frédéric Déhu, Peguy Luyindula etc. Crois-moi, ils bossaient énormément à l’entrainement. Mais l’OM c’est différent, il y a une obligation de résultat et malheureusement on n’arrivait pas à enchainer les victoires.
Lors de la saison 2007-2008, après des prêts à Créteil, Strasbourg et une nouvelle grosse blessure au genou, tu vas jouer quelques matches avec l’OM de Gerets. Ça te fait quoi de retrouver le maillot de l’OM ?
Après ma deuxième blessure au genou (les croisés), je me disais que j’étais maudit. Je venais d’arriver à Strasbourg 5 jours plus tôt et j’étais prêt à faire une grosse saison avec Jean-Pierre Papin comme coach. Malheureusement, je n’ai pas pu montrer de quoi j’étais capable alors, lorsque je reviens à Marseille, c’est avec l’équipe réserve dans un premier temps. Puis en janvier 2008, il y a une hécatombe de blessures en défense et la seule option, c’était moi. Dans ma tête j’étais préparé et je sors un gros match contre le Mans à domicile (victoire 1-0) et j’enchaine quelques matches. Ces prestations de qualité m’ont permis de rester dans le groupe professionnel jusqu’à la fin de la saison et de prolonger mon contrat de 3 ans.
Six mois plus tard tu peux partir en prêt à Reims mais ça ne fonctionne pas…
J’étais parti signer mon contrat avec Salim Arrache mais malheureusement le Stade de Reims ne s’était pas rendu compte qu’ils avaient quasiment atteint le quota de joueurs prêtés (5 maximum). Il ne restait qu’une seule place.
Tu n’as pas eu de chance dans ta carrière…
Cet épisode, c’est un moment très compliqué car le Stade de Reims devait choisir entre Salim et moi. On était dans une ville que l’on ne connaissait pas, il y avait beaucoup d’agitation autour de nous et on ne comprenait pas trop ce qui se passait. Puis, j’apprends que Reims a déjà cinq défenseurs centraux dans son effectif. J’ai compris que c’était cuit pour moi. J’aurais pu me faire prêter ailleurs, mais le moment dont je te parle, c’était le 31 août. Dernier jour de la période des transferts…
En janvier 2009, tu es prêté à Ajaccio en Ligue 2 et tu disputes une quinzaine de matches professionnels. Est-ce qu’on peut dire que ta carrière a vraiment commencé à ce moment-là ?
Oui, tout commence vraiment puisque j’enchaine. Je suis dans une belle ville, entouré de gens très accueillants et je passe 6 mois magnifiques. À l’issue de mon prêt en 2010, Didier Deschamps, qui vient d’arriver à Marseille, me conseille de faire une saison pleine avec Ajaccio. Je suis donc prêté à nouveau. Le coach a eu raison puisqu’en 2009-2010 j’ai fait presque 40 matches et j’ai même marqué deux buts (rires). C’est ma meilleure saison, sur le terrain je donnais tout et dans le vestiaire j’étais un mec important. Mon avis était très écouté et ça m’a permis de reprendre confiance.
En 2010, tu reviens une nouvelle fois à l’OM. Quel message te fait passer Didier Deschamps ?
Lorsque je reviens, Monsieur Deschamps me dit que je fais partie du groupe et que ça va être à moi de montrer que j’ai le niveau. Didier Deschamps, c’est pas n’importe qui, je suis heureux qu’il me dise cela et je sais qu’il faut que je sois à la hauteur de ses attentes.
Durant l’été, il y a ce trophée des champions que l’OM remporte face au PSG à Tunis (O-O, 5 TAB 4). Et tu rentres avant la mi-temps…
C’est un souvenir fabuleux. Remporter un trophée avec l’OM c’est très beau. Avant ce match, je suis titulaire à de nombreuses reprises durant les matches de préparation. Je joue en défense centrale mais le coach m’utilise surtout au milieu de terrain. Je fais de grosses prestations et c’était la première fois depuis 2004 que je faisais vraiment partie des joueurs «concernés». À la fin du match, le coach vient me voir pour me féliciter et me dire qu’il est fier de moi. C’est là que je me rends compte que Deschamps est un coach différent
Cette saison-là, tu as fait une dizaine de matches. Tu oublies les soucis physiques et tu as également débuté au Vélodrome contre Chelsea en Ligue des Champions en 2010 (victoire 1-0). Comment as-tu appris que tu allais jouer ?
Je l’ai appris quelques heures avant le match. Avec Deschamps, tu découvres l’équipe des titulaires avant les rencontres. Il fonctionne comme ça. Parfois, il t’envoie des messages pendant la semaine d’entrainement, en te plaçant au milieu de ceux qui ont l’habitude de jouer. Mais il cherche à améliorer l’équipe même cinq minutes avant le coup d’envoi (rires) ! Pour cela, ce coach est impressionnant. Face à Chelsea, quand il m’annonce que je suis titulaire, je suis fier. A ce moment-là je me dis : je débute un match de Ligue des Champions avec l’Olympique de Marseille quand même ! (rires). J’ai appelé mes parents pour leur dire que j’allais jouer sur TF1 (rires).
Raconte-nous ce match et cette victoire.
Ça allait tellement vite ! Tu n’as pas le temps de cogiter car les joueurs qui sont en face de toi sont différents. Face à moi, au milieu de terrain, j’avais Essien et Ramires. Il fallait que je donne le meilleur de moi-même. En plus, c’était le retour de Didier Drogba et il y avait une belle ambiance.
Tu as joué avec Lucho Gonzalez, Mamadou Niang, Gabriel Heinze… Lequel t’as le plus impressionné ?
Je vais te surprendre mais celui qui m’a marqué c’est Loïc Remy. Déjà parce qu’humainement c’est un super gars. Il est dans son coin, c’est un bosseur, il travaille et il parle très peu. Puis sur le terrain, c’est un joueur génial. Il avait une vitesse incroyable. J’ai beaucoup de respect pour lui car il est arrivé avec la pression de son transfert (15,5 millions d’euros en 2010) et avec la mission de marquer des buts. Être attaquant à Marseille c’est très dur car il y a la pression du club et du public. Pendant ma carrière à l’OM, j’ai vu passer des attaquants comme Christian Giménez, Mendoza… Ils ont très vite douté et ça s’est rapidement terminé. Loïc Remy avait les épaules, malgré ses blessures et son jeune âge.
En 2012-2013, tu vas de nouveau jouer quelques matchs d’Europa League avec Elie Baup. Suite à cela ton aventure à l’OM va se terminer. Qu’est-ce qui s’est passé après pour toi ?
Oui mon contrat s’est terminé et je n’ai pas reçu d’offre de prolongation de contrat. C’est quelque chose de normal dans la vie d’un footballeur. En revanche, Pierre Issa, un agent et ancien footballeur qui est passé par l’OM, m’avait approché pour me proposer un challenge en Grèce. À ce moment-là j’avais une proposition de 2 ans à Valenciennes mais le projet en Grèce me plaisait car il s’étalait sur 4 ans. Cet agent m’avait fait des promesses et je n’ai jamais eu de ses nouvelles par la suite. Venant d’un ancien footballeur, j’ai été déçu.
Avec du recul, est-ce qu’un transfert à l’OM n’est pas trop grand pour un jeune de 19 ans ?
Avant de signer à l’OM j’avais des propositions de Nancy et Sochaux. J’avais même fait une semaine d’essai avec l’Olympique Lyonnais de Paul Le Guen. J’avais même une proposition de contrat stagiaire de 3 ans. À 19 ans, beaucoup de club me voulaient. Mais ce club de Marseille, j’ai grandi avec puisque j’avais un poster de Basile Boli dans ma chambre. J’étais supporteur avant d’arriver alors je n’ai pas hésité. Jamais je ne regretterai ce choix. Je suis très content de ce que j’ai fait, malgré mes blessures. C’était compliqué par moment, je revois certaines images où c’était difficile, mais je suis fier d’avoir été si fort mentalement.
Pour finir, quels sont tes projets ?
J’ai commencé à passer mes diplômes d’entraineur mais le destin est encore venu se mettre sur ma route puisque j’ai perdu mon père. Il a fallu faire un choix entre le côté professionnel et la fibre familiale… Je n’ai pas hésité et j’ai rejoint ma mère au Sénégal pour être à ses côtés. Dans quelques mois, je me lancerai probablement dans un nouveau projet en lien avec le sport mais je ne sais pas encore lequel.