Eric Borghini le président de la ligue méditerranée nous a accordé un entretien ou il a abordé la crise que traverse le foot liée au COVID-19. Il a ainsi évoqué les conséquences et il nous a expliqué les solutions possibles. Une interview réalisée par Karim Sghairi (@SghairiK) pour Peuple Olympien (@peupleolympien).
Bonjour, pouvez-vous nous présenter votre parcours?
E.B : Je suis né en 1961. Après avoir eu une scolarité normale, j’ai eu un parcours universitaire qui m’a amené au Barreau de Nice où j’exerce la profession d’avocat depuis plus de 30 ans. J’ai commencé dans le football par l’arbitrage. A 16 ans, à l’époque où les jeunes arbitres étaient une denrée rarissime, je suis devenu arbitre officiel du District de la Côte d’Azur, puis de la défunte « Ligue du Sud Est », et enfin arbitre de première catégorie de la Ligue Méditerranée. Entretemps j’ai fait partie de la 1ère promotion du corps des « Jeunes arbitres de la FFF ».
Elu très tôt, à l’âge de 25 ans, au Comité Directeur du District de la Côte d’Azur, et après avoir occupé un peu toutes les fonctions, j’ai finalement été élu président de ce District en 1996, et constamment réélu pendant 20 ans. Depuis septembre 2016, j’ai été porté à la présidence de la Ligue Méditerranée où j’ai succédé au Président Porcu, dont j’ai été l’un des Vice-présidents pendant de nombreuses années. Cela fait bientôt 45 ans que je sers la FFF et on peut dire de moi que je suis finalement un « Fédéraste » !
Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé la FFF à prendre la décision d’arrêter les championnats amateurs ?
E.B: Ce qui a été au centre de la réflexion fédérale est la lutte contre l’épidémie. Et c’est à travers ce prisme que tout a été analysé, puis décidé. Le 16 avril 2020, face à la grave crise sanitaire que traverse notre pays, le Comité Exécutif de la Fédération Française de Football a dû se résoudre à arrêter définitivement l’ensemble des Championnats amateurs (à l’exception du National 1 et de la D1 Féminine) pour la saison 2019-2020. La Fédération a longtemps espéré que les championnats pourraient reprendre normalement. Tout dépendait de l’évolution de la crise sanitaire et des décisions des pouvoirs publics gouvernementaux.
Pourquoi ? Parce que nous sommes, pour le football, la seule association agréée délégataire d’une mission de service public. Au coeur de cette mission, se trouve « le rôle social » du football qui est en fait l’ADN de la FFF et de ses relais en régions que sont les Ligues et les Districts. La volonté du Président Le Graët était que les enfants, les jeunes, les séniors, les éducateurs, les arbitres, les dirigeants, tout le monde se retrouve vite sur les terrains pour jouer au ballon et retrouver les émotions qui font la beauté de notre discipline. La pratique du football a un retentissement considérable sur la société et c’était important d’attendre le plus possible pour pouvoir reprendre l’activité dans des conditions sécurisées. Mais, finalement cela n’a pas été possible, car la priorité de toutes et tous devait rester la lutte contre la pandémie.
Quel est votre avis sur cette décision ? Tous les présidents de ligue partagent-ils cette décision ?
E.B: Tous les Présidents de Ligue, (et pour la Méditerranée, les 5 Présidents des Districts qui la composent) étaient du même avis d’arrêter les compétitions, et pour tout vous dire, les Présidents de Ligue avaient suggéré cette mesure 15 jours avant qu’elle n’ait finalement été prise.
« L’aspect premier qui me motive autant à travailler pour l’institution régionale, est la protection des clubs qui évoluent ou évolueront en Ligue Méditerranée. »
Eric Borghini
Pouvez-vous nous expliquer les effets que cela va avoir sur les championnats ?
E.B: Les conséquences sportives de l’arrêt des championnats ont été précisées par le COMEX qui a fixé des règles communes s’appliquant à l’ensemble des Ligues et Districts sur tout le territoire national. Ces dispositions, même si elles ne peuvent satisfaire l’ensemble des clubs, sont protectrices des intérêts sportifs de la majorité d’entre eux, puisque le nombre de relégations a été limité à une seule par groupe alors que le nombre d’accessions, prévu par les règlements des Ligues et des Districts, a été maintenu.
Très concrètement, l’impact de cette décision sur l’organisation des championnats de la Ligue Méditerranée de Football pour la saison 2020-2021 n’est pas négligeable, puisque le nombre d’équipes qualifiées, notamment pour nos championnats R1 et R2 Seniors, se retrouve supérieur à la situation prévue par nos Règlements. C’est ainsi que sous réserve de l’homologation des classements/accessions/relégations des Championnats Nationaux et de l’ensemble des procédures en cours (disciplinaires, règlementaires, contrôle de gestion, etc.), nous pourrions avoir :
– En R1 Seniors : 16 équipes qualifiées au lieu de 14 équipes ;
– En R2 Seniors : une poule de 14 équipes et deux poules de 13 équipes, au lieu de 12 équipes par poule.
Avez-vous déjà réfléchi à des pistes de travail ?
E.B: L’aspect premier qui me motive autant à travailler pour l’institution régionale, est la protection des clubs qui évoluent ou évolueront en Ligue Méditerranée.
Aussi, dès la parution de la décision du COMEX, j’ai regardé l’impact des mesures et des contraintes imposées, et vu l’urgence, ma priorité a été de mobiliser l’ensemble des collaborateurs et techniciens afin de préparer le football de demain et d’anticiper n’importe quel scénario pour que les clubs soient le moins surpris possible. Ma priorité, c’est les clubs !!!
Je souhaite que les clubs puissent avoir le temps de se préparer à une éventuelle accession et qu’ils puissent avoir le temps d’anticiper.
Je ne parle pas des clubs R2 qui monteraient en R1, car il n’y a pas de réels changements mais plutôt des clubs primo-accédants de District qui ne connaissent pas forcement le niveau Ligue. Ces clubs devront avoir le temps de préparer leur montée, tout d’abord financièrement, puis au niveau fonctionnement et logistique, et aussi pour le recrutement.
Les services de la Ligue seront là pour les accompagner car nous savons que les clubs, qui ne sont pas correctement préparés, sont condamnés à faire l’ascenseur. C’est pourquoi, j’ai sollicité les élus de la Ligue, les Présidents de District, le Directeur Technique Régional et les collaborateurs de la Ligue en charge des Compétitions, afin d’étudier les différentes options d’organisation de nos championnats pour la saison à venir.
Il y en a essentiellement deux.
La première hypothèse, dite « R1 à 16 équipes », consiste à appliquer strictement les accessions et relégations prévues par le COMEX, avec une R1 à 16 équipes, une poule de R2 à 14 équipes et deux poules de R2 à 13 équipes. A ce jour, le COMEX de la FFF a expressément fixé une limite à 14 équipes par groupe. Par conséquent, cette hypothèse n’est envisageable qu’à la condition préalable d’obtenir une dérogation de la part de la FFF, qui ne pourrait être accordée que pour une seule saison (retour obligatoire à 14 équipes la saison prochaine). Par ailleurs, cette hypothèse n’est réalisable que si nous pouvons reprendre la compétition à la fin du mois d’août prochain (en raison du nombre de journées à programmer : 30, plus la Coupe de France et la Coupe de la Ligue…), et donc de reprendre les entrainements au plus tard début août.
La seconde hypothèse, dite « R1 à 2 poules de 12 équipes », consiste à effectuer des montées supplémentaires de R2 et R1, et de D1 en R2, afin de constituer des poules de R1 et de R2 équilibrées en nombre de participants, avec 12 équipes par poule.
Dans les deux hypothèses, le pouvoir de décision du Comité de Direction de la Ligue sera limité au choix de l’organisation des Championnats Régionaux pour la seule saison 2020-2021, et aux conditions d’un retour à l’architecture prévue par les Règlements votés par les clubs, c’est-à-dire en précisant le nombre de descentes supplémentaires nécessaires à l’issue de la saison 2020-2021.
Toute modification durable de cette architecture, qui pourrait permettre de limiter le nombre de descentes supplémentaires (pérennisation d’un système avec 2 poules de R1, création d’un niveau R3, etc.) ne pourra intervenir que par un vote en Assemblée Générale. Cette année, l’Assemblée Générale d’été de la Ligue, prévue le 4 juillet avec l’anniversaire du centenaire de notre maison, a été annulée en raison des contraintes sanitaires empêchant leur tenue. C’est pourquoi, j’ai souhaité, afin de recueillir les avis et les suggestions des clubs concernés, élaboré un questionnaire en ligne à destination des Président(e)s des Clubs de N3, R1 et R2. En effet, j’ai estimé qu’aucune décision impactant l’organisation des championnats ne saurait être prise sans concertation des clubs directement concernés.
« j’ai estimé qu’aucune décision impactant l’organisation des championnats ne saurait être prise sans concertation des clubs directement concernés. »
Eric Borghini
Cet arrêt va-t-il avoir une conséquence sur le niveau des championnats ?
E.B: Presque pas dans l’hypothèse n°1, possiblement dans l’hypothèse n°2 où une baisse du niveau est possible en raison de l’accession d’un plus grand nombre d’équipes de R2 en R1 et de D1 en R2. Cependant, je fais observer que les trois accédants de R2 en R1 la saison dernière, ont terminé aux 5 premières places de la R1 cette saison (1er, 3ème et 5ème), comme quoi leur niveau sportif n’était pas catastrophiquement bas.
Quelles sont les pistes étudiées pour limiter cela ?
E.B:
Dans l’hypothèse un, les clubs et le Comité de Direction de la Ligue n’ont pas le choix. Il résulte des termes mêmes de la décision du COMEX que la saison prochaine, nous reviendrons comme avant la crise du Covid19 à 1 poule de R1 à 14 clubs et 3 poules de R2 à 12 avec les descentes supplémentaires que cela implique. Et le niveau de pratique restera pour ainsi dire inchangé.
Dans l’hypothèse deux, les clubs auront le choix, car le COMEX n’a pas imposé dans sa décision du 16 avril, le retour automatique et obligatoire la saison suivante, à une poule unique de R1. Seule l’Assemblée Générale de la Ligue pourrait le décider. C’est pourquoi au cas où ce serait finalement cette deuxième hypothèse qui soit retenue, j’ai l’intention, en cours de saison, d’inviter tous les clubs concernés à venir à la Ligue, un peu sur le modèle de ce que j’avais fait pour la réforme des championnats de jeunes, afin de travailler cette question en ateliers pour ensuite, proposer une délibération à l’Assemblée Générale, qui, souveraine, décidera.
Sur le côté économique, y a-t-il des clubs qui risquent de perdre gros ?
E.B: La réponse à cette question doit être nuancée. Depuis le 13 mars, paradoxalement, les clubs de Ligue et de Districts n’ont plus de frais comme avant. Ils n’ont plus de frais de déplacement, de défraiements d’éducateurs, de frais d’arbitrage et de délégués, les amendes liées aux cartons jaunes et rouges, les amendes administratives. Si des joueurs ou des membres du clubs étaient sous contrats, avec le chômage partiel, les salaires ne sont plus à leurs charges etc. Certaines manifestations ont été annulées, lotos, vide-greniers, etc, et peuvent être reportées à un autre moment et la recette y afférent décalée.
En revanche, la recette des buvettes, des tournois, des stages, est perdue, et surtout les recettes du sponsoring deviennent hypothétiques car avec la crise économique majeure que traverse désormais le pays, avec notamment un endettement abyssal, cela risque de priver ou de fortement diminuer les recettes privées des clubs qui savent déjà qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir de l’argent public. Ce sont surtout les clubs Nationaux qui sont concernés (N1, N2 et N3) mais également quelques grands clubs de Ligue avec des budgets importants.
Si bien que, si je ne suis pas trop inquiet pour la fin de saison, c’est plutôt pour repartir la saison prochaine que j’ai des inquiétudes. C’est la raison pour laquelle, dès l’annonce de la suspension des championnats, le Président de la FFF a annoncé que la Fédération allait créer un Fond de Solidarité du Football pour venir en aide, dès la reprise, aux clubs en difficulté et, parmi eux, spécialement ceux qui sont en péril. Ce fond sera abondé déjà par les budgets dédiés aux manifestations fédérales qui ont été annulées, par la réorientation de budgets prévus aux FAFA et aux Contrats d’Objectifs qui n’ont pu être menés à terme à cause de l’épidémie, par les fonds propres de la FFF, des Ligues et des Districts en fonction de leurs possibilités.
Au niveau régional, aux côtés du CROS PACA-SUD, nous avons transmis au Conseil Régional la synthèse des renseignements recueillis directement auprès des Présidents de clubs de la Ligue que nous avons contactés, ainsi que par l’exploitation d’un questionnaire sur les manifestations annulées pouvant avoir impacté les finances de nos clubs.
Les modalités précises d’abondement et de répartition de ce fonds sont en cours d’étude par un groupe dédié de la LFA comprenant, outre des membres de cette instance, deux Présidents de Ligue et deux Présidents de District. Nous attendons leurs conclusions.
« une part des recettes de la FFF provient des recettes générées par le foot pro, dont nous percevrons une partie… »
Eric Borghini
Pour vous, les championnats qui ne sont pas arrêtés (Ligue1, Ligue2, National1, D1 Arkema) doivent-ils reprendre malgré tout ?
E.B: Je pense en effet que, dès que les conditions sanitaires déterminées par le gouvernement et ses experts le permettront, il est très souhaitable que ces championnats reprennent.
N’y a-t-il pas une forme d’incohérence si ces derniers reprennent alors que le championnat amateur a été stoppé ?
E.B: Permettez-moi, en tant que Président de la Ligue de la « Capitale du Football » de vous dire que c’est une nécessité que le football pro reprenne.
Pour le « peuple Olympien », le football est vital. Et certains supporters, amoureux de l’OM, sont dans un véritable état de détresse psychologique, car leurs vies étaient rythmées par les résultats de l’OM !
Je pense que les victoires de l’OM agissent directement sur le moral des Marseillais et aujourd’hui, si on ne pourra pas soigner cette pandémie avec le football, cela mettra un peu de baume au cœur si les pros reprennent et ça ne sera pas de trop.
Il n’y a ni incohérence, ni contradiction. Nous ne parlons pas du même football. Chez nous les amateurs, il y a une deadline impérative qui est le 30 juin ! Il est impossible de dépasser cette échéance car au-delà, les licences de la saison ne sont plus valables, quid de la qualification des joueurs, des mutations etc… Très différente est la situation des clubs qui peuvent jouer au-delà du 30 juin en trouvant les aménagements juridiques indispensables pour les joueurs sous contrats pros ou les entraîneurs. Pareillement, les enjeux financiers attachés aux compétitions professionnelles sont sans commune mesure avec ceux du foot amateur.
Même pour la N1 où les questions financières sont primordiales. Or, il y a des contrats à appliquer avec les sponsors, en particulier avec les médias. La question des droits TV ne peut laisser indifférent aucun dirigeant responsable du football, même amateur, car une part des recettes de la FFF provient des recettes générées par le foot pro, dont nous percevrons une partie en vertu du protocole financier signé entre la FFF et la LFP.
Pour finir, je veux rester optimiste. Un beau jour, l’épidémie sera derrière nous grâce aux savants qui auront trouvé le ou les remèdes qu’il faut et surtout un vaccin pour nous préserver. Il nous faut voir dans la crise majeure que nous traversons l’opportunité de nous réinventer, et de réinventer notre football. Avec toutes les forces vives du football régional, à travers ses clubs de Ligue et des Districts, les femmes et les hommes qui s’investissent aux côtés des jeunes et des moins jeunes, j’ai l’ambition de faire grandir la Ligue, de l’embellir, de la faire briller.
Je souhaite développer au maximum notre discipline dans le respect de nos valeurs, afin de nous rendre dignes de la mission de service public qui nous est confiée par l’Etat. Nous désirons amener un maximum de petites filles et de petits garçons à la pratique du football, afin de former au mieux «des enfants-citoyens», et souhaitons à tous les pratiquants de retrouver de la joie autour de cette pratique sportive formidable qu’est le football. En bref, d’apporter du bonheur…
Je remercie Eric Borghini pour sa disponibilité et sa gentillesse pour avoir répondu a mes questions .