Le 28 janvier dernier, l’Olympique de Marseille et la Juventus de Turin annoncent conjointement les arrivées respectives de Franco Tongya d’un côté, et de Marley Aké de l’autre. Présentées comme un même échange, il s’agit bien néanmoins de deux transferts distincts, qui en dépit des qualités des deux joueurs ne semblent pas répondre qu’à des impératifs sportifs.
Le contexte tumultueux de janvier
Retour en janvier 2021. L’OM enchaîne les mauvais résultats et s’embourbe dans la crise institutionnelle qui débouchera sur l’explosion du 28 janvier. Une personnalité commence à sortir du lot et fait contraste par sa compétence, notamment en matière de gestion de l’effectif sportif. Cet homme, c’est Pablo Longoria, à l’époque connu comme head of football. Au milieu du marasme ambiant, il est celui qui est parvenu à réaliser successivement le recrutement d’un avant-centre relativement côté (Milik), à effectuer un transfert avantageux vers un club de Premier League (Sanson), et enfin à se débarrasser des « indésirables » (Mitroglou et Strootman). Pour autant, au milieu de ces mouvements très satisfaisants s’est glissé un « échange », comme on le dit pudiquement, réalisé entre la Juventus de Turin et le club de la cité phocéenne.
Un échange conclu dans l’indifférence
Le 28 janvier les clubs turinois et marseillais annoncent officiellement les arrivées respectives de Marley Aké d’un côté, et de Franco Tongya de l’autre. Le départ de chacun étant compensé par une somme estimée à 8 millions d’euros. L’actualité autour de l’OM se préparait alors à être monopolisée quelques jours plus tard par les fameux « incidents de la Commanderie ». Il va sans dire que ce transfert fut en quelque sorte mis en retrait dans la conscience collective. D’autant plus que les deux joueurs étant amenés à jouer en équipe B. On peut dire sans vexer les amateurs des équipes de réserve que cet « échange » ne déchaîna pas les passions, et ne marqua pas l’histoire de ce mercato d’hiver 2021. Quoique certains purent s’étonner de voir Aké s’envoler pour le prestigieux club de la Vieille Dame.
Un « échange » au sens propre du terme ?
Et pourtant Marley Aké a commencé à donner quelques motifs de satisfaction aux turinois (auteur d’un but contre l’AC Renate, et régulièrement titulaire). Franco Tongya aurait lui réussi à s’attirer les bonnes grâces de Sampaoli (intégré à l’entrainement avec l’équipe A le mois dernier). Il est peut-être temps de s’attarder sur les motifs extra-sportifs qui ont pu diligenter un tel échange. Tout d’abord, il convient de s’accorder sur le terme « d’échange » qu’on a pu retrouver inscrit dans la presse spécialisée. En effet, s’il s’agit d’un échange au sens où il y a un mouvement de chassé-croisé entre deux joueurs, qui intervertissent leurs positions dans leurs clubs respectifs, il en est tout autre dans la réalité comptable. Sur le plan financier, il faut distinguer deux transferts. Il y a un transfert entrant et un transfert sortant du côté des deux clubs.
Ainsi, Marley Aké aurait été vendu pour 8 millions d’euros. Et Franco Tongya racheté en même temps pour la même somme. En ce sens, nous pourrions donc qualifier ce double mouvement comme un échange. Le prix d’achat compensant le prix de revente. Sauf que s’il s’agit d’échanger un joueur contre un autre, rien n’interdit dans le Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA de procéder à un échange brut de joueurs sans compensation financière. En d’autres termes, on peut légitimement se demander : pourquoi l’Olympique de Marseille et la Juventus de Turin ont préféré attacher deux valeurs financières équivalentes (et qui donc s’annulent) à leurs joueurs, et procéder via un système de double transfert, plutôt qu’échanger directement les deux joueurs ?
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Pour comprendre le mécanisme du double transfert
De l’échange sportif… au montage financier
Pour comprendre les motifs d’un tel montage, il faut en premier lieu comprendre ce qu’est un joueur de football dans un bilan comptable. Le joueur de football fraîchement arrivé est un passif dans le bilan de son nouveau club. Par là, il faut entendre que sa valeur économique est négative : c’est une ressource qui va rendre redevable son nouveau club vis-à-vis de son ancien. En effet, la plupart des indemnités versées dans le cadre des transferts sont payées en plusieurs années. Cela permet de lisser les dépenses, et de ne pas avoir à payer comptant les joueurs. Il y a un amortissement de l’indemnité de transfert.
Or, si dans le bilan comptable on note les joueurs arrivants comme des passifs qui vont coûter au nouveau club des sommes à verser sur plusieurs années, l’indemnité versée lors du départ d’un joueur est comptabilisée entièrement sans l’étalement. En effet, le joueur partant n’étant plus compté comme appartenant à son ancien club, le club vendeur enregistre la somme intégrale que devra lui verser le club achetant, même si dans la réalité la totalité de celle-ci sera versée dans plusieurs années.
Dès lors, ce genre d’échange permet de soigner à court terme un bilan comptable. En effet l’OM, ayant vendu pour 8 millions d’euros Aké, pourrait enregistrer une entrée de 8 millions d’euros. Alors que pour l’achat de Tongya le paiement devrait s’effectuer en trois fois. L’OM devrait enregistrer environ 2.6 millions d’euros de sortie. Ainsi, à la fin de cette opération, cela devrait permettre d’afficher un bilan comptable positif de 5.4 millions d’euros. Finalement sans qu’il y ait eu de mouvement réel de fonds pour l’OM et la Juventus de Turin.
Éviter le gendarme UEFA
En tenant compte de cet état de fait ci, on peut se demander quel est l’intérêt des clubs à jouer ainsi sur les écritures comptables. Tout d’abord, dans le cadre du Fair-Play financier de l’UEFA. Les clubs souhaitant participer aux compétitions européennes ne doivent pas dépasser un certain déficit (30 millions d’euros). Cela afin de limiter les investissements massifs dans les clubs par des acteurs privés, et ainsi de fausser la concurrence sportive. Dès lors, ce genre d’opération permet d’arranger les clubs entre eux contre les instances de régulations européennes.
L’astuce de la surévaluation
Cela doit attirer notre attention sur un autre point : la valeur des joueurs dans le cadre de ces transferts. En effet sur le site transfermarkt on peut lire que les estimations des valeurs marchandes des deux joueurs plafonnent à leur paroxysme à 2.5 millions d’euros. Si on le souhaite on peut critiquer ces estimations. Il est difficile dans le milieu sportif d’estimer justement la valeur d’un bien humain. Et pour cause, il y a trop de paramètres à prendre en compte (forme du joueur, santé, état mental… etc.). Néanmoins dans le cadre de ce genre d’opération il est aisé de comprendre tout l’intérêt qu’il y a à surévaluer les joueurs. Chose est particulièrement aisée à faire lorsqu’il s’agit de jeunes joueurs dont le plein potentiel n’est pas encore exprimé.
Une opération gratuite ?
Enfin, on a pu avancer que cette opération devrait permettre d’arranger les bilans comptables. Pour les deux clubs, il s’agirait d’un profit de 5,4 millions d’euros. Cependant ce chiffre pourrait être en réalité plus bas. On a omis de prendre en compte les différentes sorties liées aux intermédiaires (prime à la signature et commissions d’agents au premier regard). Ainsi, il faut garder en tête qu’il peut y avoir aussi un intérêt totalement privé de certains intermédiaires dans ce type de montage.
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Et le sportif dans tout cela ?
Ainsi, en sachant tout cela, on peut lire l’échange Tongya–Aké sous un prisme extra sportif. Au regard des jeux sur les écritures comptables, et des intérêts privés, on peut supposer qu’un tel transfert n’est pas uniquement motivé par un choix sportif. D’autres enjeux entrent en compte. D’autant plus lorsqu’on sait qu’Aké avait prolongé son contrat à l’OM jusqu’en 2024, en juin 2020. Et que Tongya est venu renforcer l’effectif de l’équipe B de l’OM évoluant en Nationale 2. Alors que ce championnat était arrêté depuis octobre 2020 (il est aujourd’hui effectivement interrompu depuis le 23 avril).
Dès lors, il faut garder à l’esprit que Pablo Longoria a orchestré ce montage. Comme beaucoup d’acteurs dans les clubs européens ses choix ne sont sûrement pas uniquement motivés par la réussite sportive des joueurs. La Juventus fait office de référence en la matière. Notamment avec l’accord Arthur-Pjanić ou le départ à la même période de Rovella. Les choix des grands dirigeants sont probablement également orientés par la prospérité à plus ou moins long terme des clubs. Et ainsi va la vie dans le monde du foot-business.